1/3 Lancer un nouveau dispositif suppose des efforts… : la Traduction

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1/3 Lancer un nouveau dispositif suppose des efforts… : la Traduction

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20 mai 2018

Pascal Latouche

20 mai 2018

Pascal Latouche

Les entreprises se sont depuis quelques temps lancées dans la mise en œuvre de nouveaux dispositifs relatifs à l’intrapreneuriat, ou encore à l’entrepreneuriat : objectif ; accélérer l’innovation qu’elle soit issue de l’interne ou de l’externe ! Pourtant, nombre de ces dispositifs ont parfois bien du mal à se faire adopter dans l’entreprise.

Dans le cadre de mes travaux de doctorat sur l’incubation corporate (2013-2017), mon attention s’est notamment portée sur une théorie peu connue dans l’univers managérial. Il s’agit de la théorie de la Traduction de Callon (1986), et Latour (1994). Bien évidemment comprendre les mécanismes de la Traduction n’est pas l’unique levier qui permette de mieux faire adopter un dispositif innovant, par exemple l’incubateur corporate. Toutefois, sa forte dimension sociale en fait un puissant outil et peut éclairer de nombreux managers.

Qu’est-ce que la Traduction ?

La théorie de la traduction explique que l’innovation (y compris managériale) se construit progressivement pendant sa diffusion/adoption sous l’impulsion d’acteurs qui réalisent un véritable travail d’alliances et d’influences. Concrètement, il y a quatre étapes dans le mécanisme de traduction : 1°- la problématisation, 2°- l’intéressement, 3°- l’enrôlement et 4°- la mobilisation. Ces quatre étapes peuvent se chevaucher mais constituent, selon les concepteurs de cette théorie, les différents moments d’un processus général auquel il donne le nom de Traduction.

Quel est le mécanisme de la Traduction selon Callon (1986) ?

Problématisation : La problématisation est la formulation du problème. Cette formulation embarque une première identification des acteurs qui seraient concernés par le problème et les difficultés qui seraient à résoudre. Cette formulation est aussi un moyen pour les acteurs qui la réalisent de se rendre indispensables aux yeux des acteurs qui seraient concernés par le problème. La problématisation suggère donc les alliances à mettre en œuvre et l’apparition de « points de passage obligés » pour l’ensemble des acteurs qui veulent résoudre le problème.

Intéressement : L’intéressement est l’ensemble des actions par lesquelles une entité s’efforce d’imposer et de stabiliser l’identité des autres acteurs qu’elle a défini dans sa problématisation. Il s’agit donc d’établir des liens entre les acteurs concernés par la problématisation. Ces derniers vont interagir et chercher à s’influencer mutuellement. La qualification des acteurs peut donc être sujette à des changements, des évolutions qui au final conduisent à la validité de la problématisation.

Enrôlement : L’enrôlement est l’ensemble des négociations multilatérales, des coups de force ou des ruses qui accompagnement l’intéressement et lui permette d’aboutir. En somme les acteurs à l’origine de la problématisation vont chercher à définir et à attribuer un rôle à chaque acteur en tenant compte des intérêts respectifs de chacun.

Mobilisation : La mobilisation consiste à rassembler ses alliés. Des portes paroles vont apparaître, chacun représentant une catégorie d’acteurs. Ces portes paroles deviennent de fait les interlocuteurs privilégiés pour les acteurs à l’origine de la problématisation. Progressivement sur le sujet, un unique porte-parole du problème posé apparaît et il peut alors, dans la légitimité que chacun lui accorde, poser la proposition initiale de la problématisation.

L’individu, ses actions, et donc les interactions sociales induites, constituent le cœur de cette théorie. Dans cette perspective, la définition du succès est liée au degré de maturité durant le processus de transformation et non aux résultats générés par la démarche ou le dispositif. Il y a succès lorsque l’on ne pose plus de question quant à la légitimité de la démarche ou du dispositif. En effet, s’il n’y a plus de questions, c’est parce que les intérêts des uns et des autres sont comblés. Autrement dit, la démarche ou l’institution innovante se diffuse selon les intérêts des uns et des autres dans le temps, et acquière alors un statut dans l’organisation générale.

Pourquoi la Traduction ?

L’innovation (y compris managériale) requiert souvent le dialogue entre différents acteurs œuvrant dans différents champs de l’organisation. Pour que ce dialogue ait lieu, les acteurs doivent « traduire » l’innovation dans leur langage professionnel et savoir ensuite la « traduire » pour le client (qui peut être un interne à l’entreprise). Si le porteur d’un dispositif innovant n’est pas en capacité d’opérer cette « traduction », l’innovation (managériale) en question risque de prendre du temps pour être mise en marche. L’entreprise perdrait alors un avantage potentiel. Les difficultés pour que cette traduction se fasse sont nombreuses. On peut par exemple citer le cloisonnement entres services qui est susceptible de freiner la circulation d’information et de connaissances. On peut également citer le temps de traitement de l’information que chaque acteur doit assumer pour comprendre l’autre à l’occasion par exemple de réunions. La traduction réussit si chaque acteur coopère au projet d’innovation. Cela suppose que chaque acteur doté de sa propre logique accepte d’enrichir l’autre et accepte également d’être enrichi par l’autre au travers un certain nombre d’interactions.
La traduction peut permettre la mise en œuvre et l’adoption de dispositifs innovants en évitant les difficultés, car la traduction la rend conforme aux objectifs poursuivis par l’entreprise, ainsi qu’aux intérêts particuliers.


Quels leviers à la Traduction ?

Ouvrir la boîte noire de la traduction, c’est comprendre quel est le travail effectivement effectué par les acteurs en son sein, et notamment par un acteur principal : le porteur du dispositif innovant. Il convient donc de se pencher sur les facteurs susceptibles d’influencer la Traduction, en somme ses leviers. Ce sont par exemple les notions de « faits durs » et de « faits souples » pour ne citer que ces deux-là. D’une part les « faits durs » font référence à des énoncés qui ne peuvent en aucun cas prêter à confusion. Celui qui émet un tel énoncé en a le contrôle. Cela limite beaucoup les modifications possibles de l’énoncé et donc par voie de conséquence la diffusion de l’énoncé lui-même. D’autre part, la notion de « faits souples » fait, elle, référence à des énoncés plus flous qui autorisent les acteurs à les discuter, les transformer. Le résultat de ce processus permet d’obtenir une forme de consensus, l’énoncé remanié (traduit), permettant à chacun d’en comprendre ce qu’il souhaite. Ces « faits dures », tout comme ces « faits souples » peuvent s’exprimer dans des circonstances diverses et variées et notamment des évènements propres à l’activité des dispositifs innovants.

En conclusion

Cette théorie devrait selon moi retenir plus souvent l’attention des managers, parce qu’évaluant le niveau d’ancrage d’une démarche ou d’un dispositif dans l’organisation. En effet, l’émergence de nouveaux dispositifs au sein des organisations va inexorablement mobiliser de nombreuses énergies et notamment celles d’acteurs de grands groupes dont les intérêts sont variables, voir en contradiction. La réussite de nouveaux dispositifs ne peut se concevoir que dans l’art et la manière de les traduire pour y faire adhérer les acteurs utiles. La Traduction constitue la première théorie que je souhaitais vous partager. Deux autres suivront dans des articles à venir.

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